Otons du lyrisme musical et verbal les suggestions nées
de cette fièvre intestinale : que reste-t-il du lyrisme et de la
musique ?... L’art pour l’art
peut-être : le coassement virtuose des grenouilles transies qui
désespèrent dans leur mare… Tout le reste, c’est l’amour qui l’a crée…
Nietzsche, Fragments posthumes.
Ein
Gott vermags. Wie aber, sag mir, soll
Ein
Mann ihm folgen durch die schmale Leier?
Sein
Sinn ist Zwiespalt. AN der Kreuzung zweier
Herzwege
steht kein Tempel für Apoll.
R.M. Rilke, Die Sonette an Orpheus
Je marche sur des ruines aux terres abolies.
Un chœur émerge puis déclame :
« Qui brûlera le jour pour faire vivre
l’abscons ?
« Qui fera résonner le septuor endormi ? »
Et la voix déchire puis tranche de ses lames
Les racines perdues.
Le souffle est léger et déporte l’horizon.
Verticale elle va sillonnant du regard
Les trames humaines puis les feux que le noir
Eclaboussent contre l’écume des saisons.
Mais les voix hurlent à nouveau d’un mouvement
Plus profond qu’il n’était, plus lancinant, craquant
Déjà sous le poids de son retour, presque neutre,
Las d’imaginer des mots où né, se calfeutre
Le millième avatar du vide.
Ainsi, pourquoi
Ne pas fuir dans ce gouffre immense et beau, pourquoi
Ne pas chuter dans la bure obscure des morts
Où l’eau est tarie, où l’éclat plus grand fulgore…
Mais ce n’est qu’une brèche, une faille couverte
De feuilles. Et nous dansons au-dessus de l’abîme,
L’âme ondulant comme la flamme qui anime,
De son cœur volatile, une autre image offerte.
Alcide, écume d’abîme et de déraison,
Lave encore nos yeux lacrymaux, le malheur
Nous subit, nous abîme et suit les floraisons
Des lendemains. Ecoute, on anime des cœurs ;
Souffrir est une plaie. Les visions incessantes,
Les regards jetés dans le gouffre d’eau, de feu…
Je souffre, la pluie va, météore brumeux,
Tout fuit, s’évanouit, et la jeunesse fumante
Croule abandonnée, sans pères ni mères, crache
A travers l’ombre sourde à tout murmure, flache
Ivre de temps. L’Ennui me guette et son royaume
Annonce déjà la mort. Vivre ou mourir, dôme
De souffle ou d’invisible. Vivre ou mourir, des sons
Déjà vers les esprits vacillent sur les ondes…
Je souffre, le feu va, sublime les saisons ;
Suis-je chez moi, ai-je le temps ? L’âme est féconde
Pour qui sait entendre…
Il s’habillait d’écorce et de masques divins
Et sous le feu solaire, un voile déchirait
Entre les branches de griffes suspendues un
Désert rougissant où le sable recouvrait
L’abîme et son épiphanie.
Et les berges mortes, tressées de pilotis,
Offrent enfin, trames terrestres, l’éclosion
A demi-mot d’une ruine ouverte rougie
Par la boue et les larmes et qui choit plus profonde
Dans l’inattendu.
Et la crinière va s’engouffre dans les ombres,
Crache dans l’abyme aux reflets diaprés d’obscur
Sa danse tournoyante et anime sa bure
De métaux précieux. Une fleur sourd puis sombre
Dans le masque ondulant. Ici rie et scintille
Ce que la lumière a perdu depuis longtemps.
Et au travers de ses geais indistincts brûlants
Les cristaux de l’hiver, une forêt vacille
Dans les craquèlements de la terre. Déjà
L’onde mouvante allant vers l’indicible saison
Tentait de fuir par l’eau de sable et de frimas
Les brûlures du givre solaire. L’air profond
Quant à lui alourdissait, ivre de savoir,
Les effluves de la vie. Tantôt rouge et noir
L’ivoire broyait d’un coup le masque déchiré
Puis domptait le mensonge des mots distillés.
*
Et je fuis, poussière du lendemain, marquant
D’un rayon mon passage, et je mens lancinant
Et vermeil, et mes mains accueillent le sceau pur
D’autres destins nimbés de rosée et d’obscur.